Les dernières actus chez eurochef

Les actus EuroChef
Publiée le

Ma Cantine Autrement : pour un système alimentaire durable

Luc Lignon, consultant expert en restauration collective et président de l’agence L.ÉVOLUTION, a passé dix ans à refondre le système alimentaire de l’agglomération de Montpellier. À travers son projet innovant Ma Cantine Autrement, il a instauré des changements profonds pour une alimentation durable, locale et qualitative. Voici son témoignage sur cette transformation et les enjeux qui l’accompagnent.

 

En quoi consiste Ma Cantine Autrement ?

 

Luc Lignon : Il s’agit d’une approche systémique de la restauration collective : au-delà de l’assiette, repenser tout le système alimentaire en intégrant l’agroécologie, les filières locales, la formation des cuisiniers, la sensibilisation des enfants, et même la gestion des biodéchets. Ce projet répond à des engagements internationaux, comme le Pacte de Milan, en mettant en avant les circuits courts et en luttant contre le gaspillage alimentaire. L’idée est de créer un écosystème alimentaire cohérent, durable et adapté au territoire.

 

 

Portrait LL (1)

Le Pacte de Milan

 

Le Pacte de Milan est un engagement signé par plus de 200 grandes villes à travers le monde, pour promouvoir des systèmes alimentaires durables. Il s’articule autour de trois axes majeurs :

  • Privilégier les circuits courts pour réduire l'empreinte carbone.
  • Préserver les terres agricoles pour garantir une production locale pérenne.
  • Lutter contre le gaspillage alimentaire en optimisant la gestion des ressources.
Comtoise (1)

Comment avez-vous mis en place un tel projet à Montpellier ?

 

L.L. : Le projet a débuté en 2014 par deux audits : un sur la restauration scolaire et un autre sur la restauration collective dans la métropole. Ensuite, j’ai réuni toutes les parties prenantes - producteurs agricoles, écoles, hôpitaux, institutions - pour créer un groupe de travail. Ce groupe a permis de structurer les filières locales et de réorganiser les politiques d’achat pour privilégier des produits bruts et locaux. Puis nous avons organisé des formations pour le personnel de cuisine, et développé des actions de sensibilisation auprès des enfants.

Quels ont été les obstacles rencontrés lors de la mise en place de ce projet ?

 

L.L. : Tout d’abord, le manque de dialogue entre les producteurs et les acheteurs. Les premiers ne comprenaient pas toujours les besoins des collectivités, tandis que les seconds n’étaient généralement pas formés à la réalité des produits alimentaires. Ensuite, nous avons constaté que les partis prenantes politiques, souvent engagées sur le plan des idées, étaient moins pragmatiques face aux réalités de terrain. Enfin, le personnel des cantines n’avait pas toujours les compétences ou la motivation pour mettre en œuvre ces changements. Pour que tout le monde travaille dans le même sens, il aura fallu beaucoup de formation et de sensibilisation.

 

Vous avez évoqué la formation du personnel comme un des défis majeurs. Comment l’avez-vous abordée ?

 

L.L. : C’était effectivement un grand défi. À Montpellier, les agents des cantines dépendent de la Direction de l’éducation, et nous avions un rythme de formation limité à 100 personnes par an pour environ 1 500 agents. Le turnover et les CDD compliquaient aussi les choses. Mais petit à petit, certains agents, notamment ceux en charge de l’animation, sont devenus proactifs. Cela reste plus difficile avec les agents de restauration, mais il y a une vraie demande aujourd’hui pour plus de formation.

 

Vous avez introduit des repas végétariens dans les cantines. Comment cela a-t-il été perçu ?

 

L.L. : En 2015, nous avons instauré deux repas alternatifs sans aucune protéine animale par mois, ce qui était très innovant à l’époque. Il ne s’agissait pas de forcer qui que ce soit, mais de proposer une alternative durable. Aujourd’hui, il y a un menu végétarien par semaine et une option sans viande et sans poisson tous les jours. Cela permet aux enfants de découvrir de nouveaux goûts tout en respectant les attentes des parents. Cependant, il faut du temps pour changer les habitudes alimentaires. Nous avançons pas à pas, sans imposer.

L’enjeu des aliments ultra-transformés

 

Pour Luc Lignon, l’un des plus grands défis à venir est la lutte contre les aliments ultra-transformés, dont la consommation est en constante augmentation. Il appelle à une prise de conscience collective pour éviter une dérive où la nourriture deviendrait purement industrielle.

Qu’est-ce qui a véritablement changé pour les enfants dans leur rapport à l’alimentation ?

 

L.L. : L’une des plus grandes satisfactions, c’est de voir que les enfants ne réclament plus systématiquement des « steaks hachés-frites ». Aujourd’hui, lorsqu’on leur demande leur plat préféré, c’est le gratin de brocolis ou la courge rôtie. On constate aussi une véritable évolution dans la manière dont les enfants abordent les questions de gaspillage alimentaire et de tri des biodéchets. 

 

Quelle est votre vision de l’avenir de la restauration collective en France ?

 

L.L. : Malheureusement, je pense que nous ne sommes pas encore sur la bonne voie. Le discours est là, mais il est souvent déconnecté des réalités du terrain. Les lobbies de l’agroalimentaire sont trop puissants et influencent les décisions. Pour vraiment avancer, il faudrait remettre les femmes et les hommes qui travaillent dans la restauration collective au centre des décisions. Ce sont eux qui font la différence au quotidien.

Colorful School Meal