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Redonner le plaisir de manger : le défi de Frédéric Jaunault

Manger des fruits et légumes pour rester en bonne santé semble le leitmotiv des articles de presse et des messages de santé publique.

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Pour ajouter un peu (beaucoup !) de perspective à ce sujet, nous rencontrons Frédéric Jaunault, Meilleur Ouvrier de France Primeur. Il nous raconte son parcours et nous explique pourquoi les fruits et légumes sont bons pour la santé, mais surtout s'ils sont dégustés avec envie et plaisir.

Vous avez commencé votre carrière en tant que cuisinier. Une vocation ?

 

Frédéric Jaunault : J'avais toujours voulu faire de la cuisine. Cela ne venait pas de mon expérience des restaurants, puisque nous n'y allions pas. Peut-être l'influence de mes grands-parents, qui étaient agriculteurs. Les voir travailler, proches de la nature. 

Au beau milieu de votre vie professionnelle, vous décidez de vous spécialiser dans les fruits et légumes. Pourquoi ce choix ?

 

F.J. : La bascule a suivi une question qui a alors émergé dans mon esprit : pourquoi ne porte-t-on pas plus d'attention aux fruits et légumes, alors que ce sont les dénominateurs communs de tous les métiers de bouche ? Et finalement, en quoi est-ce moins noble de cuisiner une pêche qu'une pièce de bœuf ? Je ne trouvais pas ça justifié. Et j'ai eu beau chercher, je n'ai jamais trouvé de bonne raison.

En plus, les fruits et légumes sont très bons pour la santé…

 

F.J. : Aujourd'hui, on nous rabâche cela sans arrêt, mais c'est trop facile. C'est avant tout un plaisir gourmand. En plus, les magazines ou influenceurs donnent parfois des conseils ou des recettes qui n'ont pas de sens, qui sont absurdes en termes de bienfaits. Généralement, cela se base sur de vieilles études, ou sur absolument rien du tout.

Est-ce pour cela que vous avez créé l'École du Fruit et Légume ?

 

F.J. : J'ai voulu transmettre mes connaissances sur les propriétés intrinsèques des fruits et légumes. Les vitamines par exemple, comment les conserver. Et puis apprendre à reconnaître les fruits et légumes, comment les choisir, les découper, les tailler, les cuire (ou non)... Apprendre à utiliser les bons outils, adaptés aux besoins. Depuis la nuit des temps, l'Homme utilise des outils. Même s'ils sont aujourd'hui plus perfectionnés, la base reste la même, entre une pierre de silex et un couteau en céramique par exemple.

On a tout de même aujourd'hui des appareils connectés qui révolutionnent les outils. Que pensez-vous de toutes ces nouvelles machines qui équipent les cuisines professionnelles ?

 

F.J. : Ce sont des appareils qui facilitent le travail des agents en cuisine. Toutefois, je ne peux pas m'empêcher de constater que le savoir et le savoir-faire s'appauvrissent, et ces appareils n'aident pas les individus à pousser leurs capacités de compréhension. Je crois qu'un outil, il faut savoir le comprendre et l'optimiser. Même si un cuisinier a un Robot-Coupe, il doit savoir lui-même couper un légume.

Alors quel regard portez-vous sur l'équipement qu'on retrouve dans la plupart des cuisines professionnelles ?

 

F.J. : Malheureusement, les cuisines sont souvent équipées en dépit du bon sens, avec des appareils choisis selon des critères budgétaires et non leur praticité. Le résultat est alors catastrophique. L'achat d'un appareil doit répondre à un besoin. Mais encore faut-il l'avoir identifié ! Si l'on connaît ce besoin, qu'on choisit le bon équipement, qu'on s'en sert à bon escient avec les bons produits, là, on est en capacité d'apporter du plaisir gourmand.

On en revient à cette notion de plaisir gourmand. C'est une notion qu'on ne s'attend pas à voir évoquée lorsqu'on parle des repas dans les établissements de soins.

 

F.J. : Dans beaucoup d'établissements, la logique budgétaire prime, et les êtres humains qui y vivent sont effacés derrière les procédures. On oublie que, dans les Ehpad par exemple, où les personnes sont âgées, malades, dépendantes, la nourriture est l'un des seuls plaisirs qu'il leur reste. 

Qu'est-il possible de mettre en place pour insuffler ce plaisir gourmand ?

 

F.J. : Déjà, mon idée est de suivre le produit de la terre à l'assiette. Et surtout, savoir à qui ce produit est destiné : à un enfant ? Une personne âgée qui ne peut pas déglutir ? Un adulte en capacité de mâcher ? Alors, selon la pathologie, nous pouvons cuisiner le produit de façon adéquate, adapter les outils, la préparation. Ensuite, pour le cas des Ehpad, je crois qu'il faut que les résidents se réapproprient au maximum une question qui nous semble à nous bien naturelle : "Qu'ai-je envie de manger ?" Certains établissements au Luxembourg ont réussi à mettre en place cela. Des groupes de résidents choisissent des menus, et ensuite, charge aux cuisiniers d'adapter le plat aux pathologies.

Quels seraient les bénéfices ?

 

F.J. : Ils sont multiples. Pour les résidents, c'est renouer avec leurs habitudes passées, et puis être écoutés et valorisés par leurs choix. Alors, les gens mangent mieux, avec appétit, et cela va agir sur leur santé, ils auront peut-être moins besoin de médicaments. Je crois vraiment qu'à travers la passion, l'échange, nous pouvons apporter un peu de rêve, pour toute la chaîne ! Voir le sourire sur tous les visages, du cuisinier à la personne âgée en passant par la personne qui sert le plat. Il est possible de créer une synergie de plaisir gourmand.

Comment vous inscrivez-vous dans la démarche EuroChef vers les établissements médico-sociaux ?

 

F.J. : Mon expérience me porte à faire de la pédagogie de terrain. Et plus particulièrement, faire mieux connaître aux professionnels ces produits que sont les fruits et légumes. Là, nous pourrons évoquer l'aspect technique de la cuisine. Prenons l'exemple de la carotte. Comment quelqu'un qui ne déglutit pas peut quand même manger une carotte entière ? Par exemple en optant pour une cuisson longue à basse température. On obtient une carotte presque confite, qui conserve une texture sans qu'il y ait eu besoin d'un quelconque additif. Ce type d'exemple doit faire prendre conscience que d'excellentes alternatives aux repas actuels sont possibles.

Allez-vous évoquer la thématique du gaspillage en cuisine ?

 

F.J. : À grande échelle, le gaspillage est surtout le fait des industriels, avec la problématique du suremballage par exemple. En cuisine, le gaspillage est aussi dû au fait que nous voulons acheter des fruits et légumes pour les conserver. Nos habitudes sont très différentes en fonction des produits. Par exemple, il est entendu que quand on achète une viande fraîche, on la conservera moins longtemps que de l'ail. Il faut repenser notre besoin de conserver longtemps des aliments alors que nous avons tout à profusion. 

Quelle est votre définition du "bien manger" ? On peut s'y perdre, entre injonction à manger sainement et envie de se faire plaisir.

 

F.J. : L'idée de manger sainement ne s'est pas toujours posée. Ce n'est que depuis l'industrialisation de la production de nourriture qu'elle est apparue. Depuis qu'on ajoute colorants, glutamates, nitrites, polyphosphates… Aujourd'hui on s'aperçoit que ce n'est pas bon pour la santé. Mais la question centrale, c'est de faire attention à soi-même, savoir respirer, s'hydrater, peut-être écouter la nature, écouter la saison. Alors bien manger, c'est manger à sa faim, ce que notre corps nous demande. Il faut donc savoir écouter son corps pour bien le nourrir. Déguster, c'est déjà prendre du plaisir, et c'est très important. Bien sûr, il faut prendre garde aux surdoses de sels, sucres, gras qu'on trouve partout, il est nécessaire de rééquilibrer notre alimentation. Mais l'important est de manger ce qui nous fait envie et qui va faire plaisir à notre corps.

L'aventure du concours Meilleur Ouvrier de France

 

 Frédéric Jaunault a été le tout premier Meilleur Ouvrier de France Primeur, en 2011. À l'époque, il avait pour projet de créer une école, pour transmettre son savoir sur le lien entre la nature et les outils techniques des métiers de la cuisine.

 

Lorsque la catégorie Primeurs est créée, Frédéric Jaunault décide de se lancer dans l'aventure. "Meilleur Ouvrier de France, c'est un sacerdoce, un engagement", reconnaît-il. Mais en réalité, c'est après que commence vraiment l'aventure. "L'apprentissage n'est jamais terminé. Et avec cette reconnaissance, les regards sont davantage braqués sur moi, ce qui m'encourage toujours à garder le même niveau d'excellence."